L'icône de la Vierge ou Théotokos (= Marie) de Vladimir se trouve actuellement exposée à la galerie Trétiakov
de Moscou. C'est une icône miraculeuse et l'une des reliques les plus vénérées de la Russie du nord.
Elle était destinée aux processions, c'est pourquoi elle est biface
(voir verso ci-contre). C'est l'une des plus anciennes icônes dites
miraculeuses du type Éléousa ("tendresse miséricordieuse"), et sans
doute aussi, l'une des plus connues et copiées en Occident.
Voici son histoire édifiante, racontée par le Père Nicodème, prêtre-moine orthodoxe à Nice:
"Ce trésor sacré et miraculeux, ce joyau de la terre
russe, l'icône de la Mère de Dieu de Vladimir, se trouvait avant la
révolution de 1917 dans la cathédrale de la Dormition, au Kremlin de
Moscou. La Tradition rapporte qu'elle fut peinte par l'Apôtre Luc du
vivant de la Mère de Dieu. Une fois l'icône terminée, l'Évangéliste
présenta son œuvre à la Vierge-Mère qui l'examina et la bénit en disant
: « Que la grâce de Celui qui est né de moi et la mienne soient avec
elle ! ». L'icône demeura à Jérusalem jusqu'en l'an 450 puis elle fut
transportée à Constantinople, sous le règne de Théodose le Jeune. Elle
y serait restée jusqu'au XIIe siècle. C'est à partir de cette époque
que l'histoire nous a laissé des documents la concernant.
Les premiers renseignements datent du début du
xiie siècle. Les anciennes chroniques mentionnent son arrivée par
bateau à Kiev en 1131. Elle aurait pris place dans le monastère féminin
de Vichgorod. Bien entendu, on ne lui donnait pas encore à cette époque
le nom de Vladimirskaïa. En 1155, on la trouve, toujours d'après les
chroniques, chez le prince André Bogolioubsky.
Celui-ci désirait transférer le centre
politique du pays de Kiev à Souzdal. Cherchant la protection de la Mère
de Dieu pour cette entreprise, il souhaitait posséder son icône
miraculeuse. On lui indiqua le monastère de Vichgorod. « Lorsque le
prince voulut régner sur les terres de Rostov, il se mit à parler
d'icônes et on le dirigea vers l'icône de notre Toute Sainte
Souveraine, la Mère de Dieu, au monastère de Vichgorod...Il se rendit à
l'église et commença à examiner les icônes. Cette icône surpassait
toutes les autres. L'ayant vue, il tomba à terre et pria en disant : Ô
Toute Sainte Mère de notre Dieu, si seulement Tu voulais être ma
protectrice sur les terres de Rostov, et visiter les hommes
nouvellement instruits, afin que tout soit fait selon Ta volonté ! Il
prit alors l'icône et se rendit sur les terres de Rostov »
(Klioutchevsky, Récit concernant les miracles de l'icône de Vladimir,
Saint-Pétersbourg, 1878).
Est-ce André Bogolioubsky qui choisit l'icône
comme protectrice, ou bien la Mère de Dieu le choisit-il pour accomplir
le dessein de la divine providence concernant notre pays ? Toujours
est-il que, lorsqu'en secret, « sans l'assentiment de son père », il
quitta Kiev pour Rostov en 1155, « en désirant être prince de la terre
de Rostov », la Mère de Dieu refusa d'aller plus loin quand le convoi
passa près de la ville de Vladimir. Les chevaux qui tiraient le chariot
portant l'icône s'arrêtèrent. Ni les incitations répétées, ni les coups
n'y faisaient rien : ils partaient dans tous les sens, se cabraient,
menaçaient de tomber, et n'avançaient pas. On en mit d'autres à la
place, mais sans plus de résultat. Les bêtes souffraient et les hommes
aussi. Dans le convoi, seul le chariot portant l'icône demeurait
obstinément au même endroit. La caravane dut s'arrêter pour la nuit.
Le prince André pria longuement l'icône afin
qu’elle lui révélât le sens de ces événements. À l'approche de l'aube,
la Souveraine lui manifesta Sa volonté : Son icône devait rester à
Vladimir. C'est ainsi que le prince André décida de demeurer lui aussi
à Vladimir, modifiant ses aspirations politiques. L'ancien Rostov fut
remplacé par le jeune Vladimir. La Reine des Cieux indiqua donc
elle-même le nouveau centre politique de l'époque.
L'icône de Vladimir ne revêt pas seulement
pour nous une importance religieuse : elle occupe aussi une place de
premier plan dans l'histoire de l'État. Sa position dans l'ancienne
Russie est en effet exceptionnelle : les chroniques témoignent du fait
que tous, le petit peuple, les puissants et, a fortiori, les membres du
clergé, la considéraient comme la protectrice de l'État et de l'Église.
Les écrits des siècles passés, chroniques, écrits privés ou articles
savants surveillaient avec attention le destin de l'icône. Chacun de
ses déplacements était regardé comme un déplacement de la Mère de Dieu
elle-même, et tout événement important de l'histoire du pays était
expliqué par son influence. Quand Moscou devint le centre politique de
la Russie, l'icône de la Mère de Dieu y fut transférée pour occuper une
position centrale, tant dans la vie de l'Église que dans les affaires
de l'état.
Au cours des huit siècles que l'icône a passé
sur la terre russe, un nombre incalculable de miracles, petits ou
grands, eurent lieu par son intercession. Comme si la Toute-Pure
elle-même regardait par son icône dans le cœur de ceux qui
l'approchaient. Les premiers miracles connus concernent la vie d'André
Bogolioubsky. Lorsqu'il entreprit avec l'icône le chemin menant de Kiev
à Souzdal, il dut s'arrêter un jour à cause de la crue d'un affluent de
la Volga. Il dépêcha un homme pour trouver un gué : l’homme et son
cheval furent emportés par le courant et disparurent sous les eaux.
Voyant cela, le prince se mit à prier la Mère de Dieu demandant le
salut pour cet homme qui allait périr à cause de lui : à l'instant
même, le cheval put prendre appui sur le fond et, au prix d'un grand
effort, regagner la rive avec son cavalier.
Un autre miracle eut lieu au cours de ce même
voyage. Le prince était accompagné du prêtre Mikula et de sa femme
enceinte qui se trouvait dans un autre chariot avec sa bru. Un petit
ruisseau étant en vue, elle demanda à descendre pour le traverser à
pied. Alors le cheval s'emballa, renversa le chariot et, dans
l'affolement, piétina le cocher et la femme enceinte, qui s'était
empêtrée dans sa jupe sans plus pouvoir se dégager. Assistant de loin à
l'événement, le prêtre se jeta devant l'icône et implora la Mère de
Dieu afin qu’elle daignât sauver sa femme et l’enfant. Le cheval se
dégagea à la minute même et se sauva. La femme se releva indemne, seuls
ses vêtements étaient en lambeaux.
Obéissant à la volonté de la Mère de Dieu, le
prince André Bogolioubsky s'arrêta à Vladimir et entreprit
immédiatement la construction d'une église. On creusa les fondations en
1158. La magnifique cathédrale aux coupoles dorées consacrée à la
Dormition fut terminée en 1161. Le prince utilisa plus de dix livres
d'or, de l’argent, des pierres précieuses et des perles pour orner
l'icône qu'il installa dans la cathédrale de Vladimir. Ce revêtement
était à l'image de ce qu'on faisait à Byzance à l'époque. C'est à ce
moment-là que cette icône de notre Souveraine, la Toute-Sainte Mère de
Dieu, reçut le nom de Vladimirskaïa. Dans cette église qui lui avait
été consacrée, la Mère de Dieu continuait à déverser grâce et secours
sur ceux qui avaient recours à Elle avec l'élan de la foi et du cœur.
C'est ainsi qu'un jour, un homme atteint d'une
forte fièvre entra dans la cathédrale de Vladimir pour prier devant
l'icône. À la fin de l'office, il perdit connaissance. On le porta sur
le parvis. Quand il eut retrouvé ses esprits, il raconta que la Mère de
Dieu était venue vers lui de là où Elle se tenait. Pendant la liturgie
qui suivit, il pria de nouveau devant l'icône et, voulant l'embrasser,
il tendit vers elle son bras malade. Alors, en présence du prince
André, du prêtre Nestor et des fidèles, la Mère de Dieu prit sa main et
la tint durant tout l'office. Il fut totalement guéri. Le père Nestor
organisa une procession pour fêter le miracle et la guérison du malade,
puis le prince André et les boyards prirent congé du miraculé en lui
offrant des cadeaux.
Un autre miracle concerna le prince André
lui-même. On lisait le canon à la Toute-Sainte Mère de Dieu un jour où
l'on fêtait sa Dormition. Le prince participait aux chants en souffrant
dans son âme pour sa femme enceinte et malade. Après le canon, on
plongea l'icône dans un récipient remplit d'eau qui fut ensuite porté à
la princesse. Elle en but et donna naissance à un enfant parfaitement
sain, recouvrant elle-même la santé.
Il va de soi que le prince André Bogolioubsky,
qui manifestait une profonde vénération pour la Reine des Cieux,
n'entreprenait jamais rien d'important sans avoir prié la Mère de Dieu
devant son icône. C'est ainsi qu'en 1164, il partit en campagne contre
les Bulgares de la Volga avec une croix et l'icône de la Toute-Sainte
Mère de Dieu. Avant le combat, le prince se confessa, communia et pria
devant l'icône. Les personnes présentes purent l'entendre dire : «
Quiconque a foi en Toi, Ô Souveraine, ne périra pas ». La victoire fut
acquise sans délai. On célébra un office solennel d'action de grâces
devant l'icône et la croix, sur le lieu même où les bulgares avaient
été défaits. Un miracle eut lieu à ce moment-là : devant l'armée au
grand complet, la croix et l'icône émirent une intense lumière qui
éclaira tous les environs. Tous tombèrent à genoux et glorifièrent
Dieu. Le même jour, à la même heure, mais très loin de là, l'empereur
byzantin Manuel doutait de l'issue d'une bataille qu'il devait
entreprendre contre les Sarrasins. Il se mit à prier devant une croix
et l'icône de la Mère de Dieu dite « de Silouane ». De la même façon,
la croix et l'icône se mirent à briller fortement, éclairant les
environs. L'empereur se réjouit de ce signe et mena sa petite armée au
combat, infligeant à l'adversaire une cuisante défaite. Par la suite,
André Bogolioubsky étant entré en rapport avec Constantinople, la
similitude des deux miracles fut mise en évidence. L'empereur Manuel,
le patriarche Luc et André Bogolioubsky décidèrent d'un commun accord
d'instaurer une fête le 1er août, en souvenir de l’événement. La fête
honorait ainsi le Christ Sauveur, notre Dieu miséricordieux, et Sa
Mère, la Toute-Sainte Marie. On suppose que cela eut lieu en 1168.
Il est probable que le prince André instaura à
peu près à la même époque la fête de la Protection de la Toute-Sainte
Mère de Dieu (1er octobre). Il existe en effet à Novgorod depuis le
début du xiie siècle un monastère dédié à cette fête. Près de Vladimir,
sur la rivière Nerl, une église très célèbre pour son architecture lui
fut également consacrée à cette époque.
Petit à petit, le prince André se laissa
griser par le pouvoir et la grandeur de sa principauté. Il passait son
temps dans des campagnes militaires, des affrontements et des procès
avec les autres princes, loin du regard d'amour céleste et
miséricordieux de l'icône de la Mère de Dieu. Durant la sombre nuit du
29 juin 1175, il fut férocement assassiné par ses serviteurs manipulés
par les boyards, loin de la ville et de l'icône. La nouvelle parvenue à
Vladimir, la cité se souleva ; les meurtres et les pillages
commencèrent. Pour éviter que le chaos ne tournât à la guerre civile,
le prêtre Mikula, poussé par certains habitants et par le clergé,
sortit l'icône et la porta en procession à travers la ville. La Mère de
Dieu fit cesser la révolte et les pillages.
Le trône princier fut occupé par les neveux
d'André, les cruels et cupides Iaropolk et Mstislav, fils de Rostislav.
Dès leur accession au trône, ils pillèrent les ornements de l'icône qui
se retrouva entre les mains du prince Gleb de Riazan : « ils prirent le
premier jour l'or et l'argent de la Mère de Dieu, les clefs de l'église
et s'emparèrent aussi des terres et des biens que le bienheureux prince
avait donnés à l'Église ». Mais les habitants de Vladimir ne
supportèrent pas longtemps le despotisme cruel des deux princes. Ils se
liguèrent contre eux, de sorte que les soldats des princes, jetant
armes et drapeaux, prirent la fuite avant la bataille. Le prince Gleb
s'empressa de restituer l'icône, promettant de rendre aussi tout le
reste, « jusqu'à la dernière pièce d'or ».
Le temps passa. Il serait impossible de citer
tous les miracles personnels accomplis par l'icône ; nous mentionnerons
ceux qui ont un intérêt général.
Le 13 avril 1185, la cathédrale de Vladimir
brûla et seule l'icône miraculeuse échappa au feu. On reconstruisit
l'édifice par la suite.
Le 7 février 1237, les hordes tatares de Batou
Khan envahirent la ville de Vladimir, détruisant et massacrant tout sur
leur passage. L'évêque Mitrophane et de nombreux habitants se
réfugièrent dans la cathédrale avec l'icône. Les Tatars les livrèrent
tous au feu. Voici ce que rapporte une chronique : « Les Tatars
ouvrirent les portes de l'église par la force et virent que certains de
ceux qui s'y étaient réfugiés étaient morts par le feu. Ils passèrent
les survivants par les armes. L'icône miraculeuse de la Sainte Mère de
Dieu fut pillée, ses ornements d'or, d'argent et de pierres précieuses
arrachés » (Laurent, vol.1). Mais une autre chronique rapporte que «
Dieu permit que sur l'icône de la Mère de Dieu, les impies brisassent
tous les ornements en métal précieux. Cependant, la divine icône, de
façon étonnante, fut retrouvée intacte, n'ayant pas été abîmée ni par
le feu, ni par les mains impures des Agarénéens qui détestent tant les
chrétiens » (Stepennaïa Kniga). Les recherches menées par les
historiens bolchéviques attestent qu’en 1238 « l'armée de Batou Khan
passa sur la terre russe comme un ouragan, massacrant tout le monde,
des vieillards aux nouveaux nés, et livrant au feu la ville et ses
églises » (Moscou, 1958). Quelques années plus tard, Iaroslav
Vsevolodovitch restaura la cathédrale aux coupoles dorées et l'icône de
Vladimir fut à nouveau ornée d'un revêtement précieux.
Un siècle et demi s'écoula. La phobie des
Tatars s'était emparée de la Russie. À cette menace extérieure
s'ajoutait une lutte intestine douloureuse qui mena le trône de Moscou
au rang de grande principauté. Ceci changea fondamentalement la
situation de Vladimir, qui jouait jusque là le rôle de centre politique
et culturel de la Russie du nord-est. L'âge d'or de Vladimir était
révolu. Le saint hiérarque Pierre avait fait une prophétie sur Moscou
qui était en passe de se réaliser : Moscou devait s'élever sur les
épaules de ses ennemis, à condition qu'on y édifiât une église
consacrée à la Mère de Dieu. La magnifique cathédrale de la Dormition
de la Mère de Dieu étant déjà bâtie, il restait à y placer l'icône de
Vladimir.
En 1395, Tamerlan envahit toute la terre
russe. Il se dirigea vers Moscou en détruisant tout sur son passage. Le
« fléau des peuples » avait déjà pris la ville d'Elets tandis que le
grand prince Vassili Dimitrievitch se trouvait à Kolomna. Les immenses
armées tatares s'approchaient, suscitant effroi et tremblements. Sur le
conseil du métropolite Cyprien, ou peut-être sur celui des princes, on
s'adressa unanimement à la « Puissance Invincible », car seule
l'intercession de la Souveraine Céleste pouvait sauver le pays de la
perdition générale. On dépêcha une ambassade solennelle à Vladimir pour
chercher l'icône. « Ils prirent l'icône miraculeuse de la Toute-Pure et
la portèrent de Vladimir à Moscou, dans la crainte de Temir Oksakov le
Tatar, dont les récits de jadis disaient qu'il était loin en orient, et
dont on disait maintenant qu'il était à nos portes ».
Le peuple de Vladimir, à genoux dans les rues
et sur les routes, pleurait en voyant sa Protectrice quitter la ville.
Le 26 août, la sainte icône fut solennellement accueillie à Moscou. Le
clergé au grand complet, portant les vêtements sacerdotaux, vint à sa
rencontre avec les étendards, les croix et les icônes. Princes,
boyards, hommes et femmes, jeunes gens et jeunes filles, enfants et
nouveau-nés, pauvres et riches, tous vinrent à la rencontre de la «
Puissance Invincible », la Reine des Cieux et de la terre. C'était
comme si la Mère de Dieu elle-même entrait dans la ville. Ce fut un
triomphe. Tout le monde était à genoux, pleurant de componction et
d'espoir. Comment décrire une telle foi, un tel espoir, accordés comme
des dons du ciel ? Les Tatars approchaient toujours davantage de
Moscou, mais les habitants de la ville sentirent bientôt la panique se
changer en une ferme confiance : Dieu ne les abandonnerait pas ! En
effet, quelque chose d'incompréhensible arriva le jour même à Tamerlan.
Saisi soudain d'une peur aussi insurmontable qu'inexplicable, il prit
la fuite et quitta les terres russes.
Par la suite, des rumeurs répétées couraient
dans les rangs tatars, rapportant que Tamerlan avait fait un rêve : une
Vierge s'était tenue devant lui, haut dans le ciel, auréolée d'une
lumière ineffable, et l'avait regardé sévèrement. Les anges qui
entouraient la Vierge s'étaient précipités vers lui avec des glaives de
feu. Tout ceci se passa le jour de la « rencontre » de l'icône. À son
réveil, pris d'effroi, il avait convoqué les sages, les mages et ses
lieutenants, leur demandant de lui expliquer cette vision. Ils en
étaient venus très vite à la conclusion que cette Vierge ne pouvait
être que la Marie des chrétiens, la Mère de leur Jésus-Christ. Tamerlan
s'était alors écrié : « Nous sommes perdus, il faut partir ! ». Les
Russes ne furent pas les seuls à être surpris par ce départ précipité :
les armées tatares elles-mêmes n'en revenaient pas.
Quand Vassili Dimitrievitch apprit la cause de
cette débandade, il pria longuement devant l'icône, touché par la
miséricorde de la Reine des Cieux, et « se prosterna devant l'icône en
faisant couler les larmes de son cœur ».
Le 26 août 1395 resta pour toujours le jour de
la Fête de l'icône de Vladimir. On bâtit par la suite le monastère « de
la rencontre » sur les lieux mêmes de cette rencontre, monastère vers
lequel venait annuellement une procession issue des cathédrales du
Kremlin, portant les icônes miraculeuses avec l'icône de Vladimir en
tête. C'est ainsi que l'icône de Vladimir entra dans la cathédrale de
la Dormition et s'y installa.
Pour ne pas priver totalement les habitants de
Vladimir, leur icône y retourna maintes fois, surtout lors des pénibles
années de l'invasion tatare. Le prince Vassili en fit peindre par
ailleurs une copie par Saint André Roublev, copie destinée à la
cathédrale de la Dormition à Vladimir.
Notre Souveraine Céleste, par l'intermédiaire
de son icône de Moscou, assura la protection de la ville pendant la
période tatare.
En 1408, le khan Edigueï avança sur Moscou à
un moment où il n'y avait ni prince, ni métropolite, ni armée russe
pour défendre la ville. Comme les habitants priaient jour et nuit
devant l'icône de Vladimir, Edigueï fut soudain informé d'une révolte
dans la horde. Il abandonna le siège de Moscou et rentra chez lui.
En 1451, c'est Mazovcha, le fils du khan de
Nagaï, qui approchait de la ville avec son ramas de brigands,
incendiant les faubourgs. Malgré l'épaisse fumée qui recouvrait
l'enceinte, le métropolite Jonas ordonna une procession sur les
remparts avec l'icône de la Mère de Dieu. La ville entière était en
prière. Les guerriers combattirent toute la journée du 2 juillet sans
pouvoir vaincre les Tatars. C'était le jour de la fête de la Déposition
de la Tunique de la Toute-Sainte Mère de Dieu dans l'église des
Blachernes. On entendit toute la nuit des tintements d'armes et des
bruits de chariots. Au matin, les tatares n'étaient plus là. On
interrogea les quelques blessés restés sur place : ils racontèrent
qu'ils avaient cru que de nouvelles forces russes s'étaient approchées
dans le noir, avec l'intention de les encercler. C'était donc la raison
de la fuite de Mazovcha. Au lever du soleil, aucun nouveau soldat russe
n'était présent, mais les Tatars étaient déjà loin. En remerciement
pour cette intervention céleste, le métropolite Jonas fit construire, à
l'ouest de la cathédrale de la Dormition, une église consacrée à la
Déposition-de-la-Tunique.
En 1459, le père de Mazovcha voulut venger le
déshonneur de son fils en détruisant Moscou, car il avait appris
comment ses soldats avaient été trompés. Le métropolite Jonas et les
Moscovites supplièrent de nouveau la Mère de Dieu de sauver la ville.
Ivan III Vassilievitch se jeta courageusement dans le combat et mit
rapidement les Tatares en déroute. À cette seconde occasion, le
métropolite Jonas construisit, pour remercier la Toute-Sainte, une
chapelle dédiée à la Glorification de la Toute-Sainte Mère de Dieu
(Pokhvala Presviatoï Bogoroditsy).
Plus tard encore, en 1480, Ivan III déchira le
sceau du khan et refusa de payer le tribut au chef de la Horde d'or,
Ahmet, qui se dirigea vers Moscou avec une énorme armée. L'icône de la
Mère de Dieu se trouvait à ce moment-là à Vladimir. On l'envoya
chercher en toute hâte et elle parvint à Moscou le 23 juin. Voici ce
que rapporte le psautier de la Laure de la Trinité-Saint Serge
(Sledstvennaïa Psaltir') : « L'icône miraculeuse de la Toute-Pure Mère
de Dieu vint de Vladimir à Moscou en 6988 (1480). Cette même année,
l'impie Ahmet s'approcha de la rivière Ougra avec ses enfants, en
automne, le jour de la fête de la
Protection-de-la-Toute-Sainte-Mère-de-Dieu. C'est à partir de ce
moment-là que l'on décida de célébrer cette fête ». Et, dans une autre
chronique : « Ayant entendu cela, le grand prince de toute la Russie
Ivan Vassilievitch envoya chercher l'icône miraculeuse de la
Toute-Sainte à Vladimir et ordonna de l’apporter à Moscou pour la
protection de la capitale et de toutes les terres russes. Ahmet
s'arrêta à la rivière car il vit le grand prince Ivan de l'autre côté
avec son armée. Les ennemis se firent longtemps face de part et d'autre
de la rivière, aucun des deux ne se décidant à traverser le premier. À
Moscou, on priait jour et nuit devant l'icône en implorant la
Toute-Pure d'apporter son aide. Une rumeur venue d'on ne sait où
circula parmi le peuple, disant que la Mère de Dieu avait posé sa
ceinture sur la rivière entre les deux armées, ce qui avait eu pour
effet de les tenir immobiles. Le prince Ivan Vassilievitch décida à la
fin de mettre un terme à cette attente en s'éloignant de la rivière
pour obliger les Tatars à la traverser en toute quiétude : il espérait
ainsi engager la bataille avec une moitié de l'armée, et mettre les
Tatars en déroute en les prenant en étau sur la rivière. Ahmet
réfléchit longtemps et flaira le piège. Il s'écarta à son tour, et
c'est ainsi que la ceinture de la Mère de Dieu les éloigna les uns des
autres. Le contact ayant été évité, le prince Ivan envoya des
détachements de cavaliers autour de l'armée ennemie pour localiser les
Tatars et sonder leurs intentions. En voyant constamment ces cavaliers
russes autour d'eux, les Tatars craignirent d'être entourés et
reculèrent de plus en plus. Le 7 novembre, ils partirent
définitivement, renonçant à l'idée de conquérir Moscou. On institua la
journée du 23 juin, date de l'arrivée de l'icône à Moscou, comme fête
solennelle de la Mère de Dieu ».
Les campagnes permanentes, les processions, le
froid hivernal et la chaleur estivale, la vénération de millions de
pèlerins au cours des siècles avaient fini par endommager la peinture
de l'icône : le métropolite Varlaam la fit restaurer légèrement en
1514. Elle fut recouverte d'un revêtement luxueux. On fabriqua un
encadrement précieux en verre pour mieux la protéger, à l'endroit où
elle était placée, près des portes royales de l'iconostase. On peignit
au verso un autel et une croix. On instaura une fête en l'honneur de
cette restauration, célébrée le 21 mai, « par ordre du pieux grand
prince Vassili Ivanovitch, autocrate de toute la Russie, sur le conseil
et avec la bénédiction du métropolite de toute la Russie Varlaam »,
comme l'atteste le Sophisky Vremennik.
Toutefois, les Tatars n'avaient pas laissé les
Russes définitivement en paix. En 1521, Mahmet Guireï fit irruption
dans la région de Moscou avec les Tatars de Crimée, de Nagaï et de
Kazan. Le grand prince Vassili Ivanovitch eut à peine le temps de
conduire son armée sur l'Oka pour arrêter la progression des ennemis.
Les Tatars se conduisaient déjà comme des démons sur les territoires
allant de Voronej à Nijny et de Nijny à la Moskova. Ils tuaient les
enfants, emprisonnaient les hommes et profanaient les églises. Guireï
poussa ainsi jusqu'à Moscou en incendiant les villages environnants. La
peur s'empara de la capitale.
On célébra à nouveau jour et nuit des offices
devant l'icône de la Mère de Dieu. Une nuit, Saint Basile le
fol-en-Christ pria la Reine des Cieux en versant des larmes pour le
salut du peuple et de la ville. Soudain, il entendit un grand bruit.
Les portes de la cathédrale de la Dormition semblèrent s'ouvrir
d'elles-mêmes et l'icône de Vladimir, quittant sa place, sortit par les
portes. Une voix retentit : « Je sortirai de la ville avec les
hiérarques ». Toute l'église fut éclairée un bref instant par une
grande flamme.
La même nuit, au même moment, une moniale
aveugle du monastère de l'Ascension eut une vision. Elle vit une sainte
assemblée sortir du Kremlin par les portes du Sauveur. Les hiérarques
et d'autres justes resplendissants portaient l'icône miraculeuse de
Vladimir qu'ils étaient allés chercher à la cathédrale de la Dormition.
Lorsqu'ils franchirent les portes du Sauveur, Saint Serge de Radonège
et Saint Varlaam Khoutinsky arrivèrent de l'Ilinka : ils se dressèrent
devant les hiérarques leur demandant à qui ils abandonnaient ainsi la
ville. Ces derniers répondirent : « Nous avons beaucoup imploré le
salut de notre Dieu miséricordieux et de la Vierge Toute-Pure face à
cette perdition qui s'annonce. Le Seigneur nous a ordonné, non
seulement de quitter la ville, mais d'emporter aussi l'icône de Sa
Très-Pure Mère car les gens ont dédaigné la crainte de Dieu et ont
négligé Ses commandements. C'est pourquoi Dieu a permis aux barbares de
venir les punir afin qu'ils reviennent à Lui par le repentir ». Alors
les Saints Serge et Varlaam tombèrent aux pieds des saints thaumaturges
de Moscou, les suppliant d'adoucir le courroux de Dieu. Les saints
hiérarques ne restèrent pas insensibles à ces prières ferventes. Ils se
mirent à prier ensemble devant l'icône de la Toute-Pure, bénirent
ensuite la ville avec la croix et rentrèrent au Kremlin avec l'icône de
la Reine du ciel et de la terre.
Cette fois encore, les impies perdirent leurs
moyens et se laissèrent gagner par la panique. Les guerriers russes,
encouragés par la leur foi dans l'aide venue d'en haut, partirent pour
encercler les Tatars. Ceux-ci eurent l'impression que les forces russes
étaient bien plus nombreuses qu'elles ne le furent en réalité. Une peur
mystique, inexplicable, s'empara d'eux, dans cette nuit sombre et
impénétrable. Une confusion chaotique naquit dans ce fabuleux
rassemblement des hordes de Crimée, de Nagaï, de Kazan : les uns
avançaient et les autres reculaient. De tous côtés, ils rencontraient
des Russes. Une fuite générale s’ensuivit avant même que le combat ne
fût engagé.
Il est facile d'imaginer avec quelles larmes
on chanta les offices d'action de grâce en l'honneur de notre
Souveraine. On célébra par la suite cette libération de Moscou le jour
de la fuite des Tatars, le 21 mai 1521. Cette fête coïncidait ainsi
avec celle du 21 mai 1514.
Les années passèrent. L'icône miraculeuse de
la Mère de Dieu continua à participer à tous les grands événements de
la vie de l'État. On y voyait la présence de la Reine Céleste
elle-même. Avant de partir en guerre, les princes de Moscou, puis les
tsars, priaient devant l'icône. Les grands de l'État juraient fidélité
au tsar face à elle. On l'amena devant le lit de mort du grand prince
Vassili Ivanovitch lors de la discussion sur sa tonsure monastique.
C'est avec elle que l'archevêque Arsène reçut la milice après la
libération du Kremlin du joug polonais. On eut recours à elle quand le
patriarche Adrien demanda à Pierre le Grand de gracier les Streltsy. Et
combien d'aides individuelles et secrètes n'apporta-t-elle pas ? Elle
était présente aux processions des jours de fête et on dut la restaurer
à plusieurs reprises, en 1566 sous le métropolite Athanase, puis aux
XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. L'icône miraculeuse souffrit beaucoup
lors de l'occupation de Moscou par Napoléon Ier. On dut l'exiler avec
beaucoup d'autres objets sacrés, et elle voyagea entre Moscou, Vladimir
et Mouromsk. Elle ne regagna la cathédrale de la Dormition qu'en 1813,
après la remise en état des lieux, et y demeura jusqu'en 1918. Nous
sommes obligés d'ajouter que les soldats de Napoléon avaient transformé
la cathédrale en écurie, qu'elle fut saccagée et que tous ses trésors
furent pillés.
On faisait participer l'icône aux élections
des métropolites puis des patriarches : c'est en effet devant elle
qu'on tirait au sort le nom de celui qui était agréable à la Reine
Céleste. Cela arriva pour la dernière fois pendant la sanglante guerre
civile, lorsqu'on tira au sort le nom du premier patriarche depuis
Pierre le Grand. L'élection eut lieu le 5 novembre 1918 dans la
cathédrale du Christ-Sauveur, dans le monastère de la Résurrection. On
eut beaucoup de difficulté à faire venir l'icône de la cathédrale de la
Dormition, car le Kremlin était déjà occupé par l'armée rouge.
L'élection eut lieu après la Divine Liturgie. On avait procédé quelques
jours auparavant (le 31 octobre) à l'élection préliminaire, au cours de
laquelle le métropolite Tikhon de Moscou avait obtenu le moins de voix.
Mais c'est lui que la Souveraine Céleste désigna par tirage au sort, et
c'est lui qui devint patriarche.
Une restauration capitale fut faite en 1919 par le
pouvoir en place qui la considérait comme une œuvre d'art. On ôta à ce
moment le revêtement de 1657, selon les désirs du patriarche. On
constata qu'il ne subsistait de la peinture initiale que la Sainte Face
de la Mère de Dieu, son cou, la Sainte Face de l'enfant Dieu et la
lettre M dans le coin supérieur gauche, c'est-à-dire les parties qu'on
n'avait jamais recouvertes pour les « conserver » !"